vendredi 19 octobre 2012

Circoncision : identité, genre et pouvoir, par Miriam Pollack


Circoncision : identité, genre et pouvoir
par Miriam Pollack[1]

La circoncision est considérée comme la mitzvah (ou commandement) centrale du judaïsme. Même pour les juifs non religieux, la circoncision continue d'être perçue comme le sine qua non de l'identité juive. Et pourtant, à la différence de tout autre sujet de controverse chez nous autres juifs, celui de la circoncision ne doit pas être mis en question. Nous pouvons discuter calmement de savoir s'il y a un D… ou pas, si D… est masculin, homosexuel, féminin ou neutre, ou si les homosexuels peuvent devenir rabbins. Pourtant, contester la circoncision, c'est passer la limite. A lui seul, ce tabou est révélateur de la solidité des sentiments qui entourent cet ancien rite et de tout ce qui demeure en dessous de la surface, dans l'épais silence où, depuis des milliers d'années, de puissantes forces se sont coalisées.

Pour tenter de comprendre le rôle de la circoncision dans le judaïsme, nous ne devons pas seulement étudier sous tous ses aspects l'injonction biblique trouvée en Genèse 17 : 10-12. Nous sommes également contraints de nous focaliser sur les fonctions desservies par la mutilation sexuelle masculine - socialement, politiquement, psychologiquement et individuellement - afin de voir quels sont et à qui appartiennent les besoins cachés qui sont satisfaits. Une partie de l'information nous vient de l'érudition, une autre ne peut provenir que de l'examen des plus subtiles ramifications résultant de l'altération permanente des organes sexuels masculins.

La circoncision est loin d'être unique au judaïsme. Cependant, deux éléments distinguent la version juive de l'ablation sexuelle masculine. Tout d'abord, dans le judaïsme, la circoncision est exprimée comme l'ordre divin qui scelle et perpétue l'alliance, la relation contractuelle et éternelle de D…, avec le peuple juif. Ensuite, elle est ordonnée pour le huitième jour de la vie du bébé. Mis à part ces identifiants uniques, la circoncision dans le judaïsme ressemble beaucoup aux rites de circoncision des autres sociétés.

Mon intention ici est de montrer que couper une partie des organes sexuels d'un enfant est fondamentalement une affaire de genre et de pouvoir. Cela est vrai que l'ordre soit divin, tribal, laïque, ou pseudo-médical, et concerne les petites filles aussi bien que les petits garçons.

Pour ceux d'entre nous qui ont grandi avec la normalité de la circoncision des nouveau-nés mâles, cela peut sembler une affirmation hardie, peut-être même scandaleuse. Comme Karen Ericksen Paige et Jeffrey M. Paige l'affirment dans leur livre : La politique du rituel de la reproduction, des nombreuses théories avancées pour tenter d'expliquer la fonction des rituels de reproduction, toutes conviennent que "les buts du rituel sont rarement, voire jamais l'objet d'un savoir conscient."

Dans toutes les sociétés circonciseuses, la circoncision répond à de multiples besoins non-exprimés, sociaux, politico-tribaux et sexuels. Paige et Paige prétendent que la circoncision fonctionnait originellement comme un moyen de réaliser par un rituel ce qui ne pouvait être accompli au moyen d'un arrangement politique : c'est à dire, le désamorçage d'éventuelles revendications concurrentielles des descendants masculins pour les mêmes ressources limitées. Dans les sociétés pré-industrielles, où les liens claniques et tribaux formaient la base de la sécurité économique et militaire, l'empressement du père à exposer, sacrifier et risquer sous le couteau le tendre organe du potentiel procréatif de son fils et la promesse de sa progéniture mâle était une spectaculaire démonstration aux aînés (lire les aînés mâles) de l'allégeance du père à la tribu, remarque faite par Léonard B. Glick dans Marked in your flesh: circumcision from ancient Judea to modern America. Pour cette raison, la circoncision est rarement un événement chirurgical privé. C'est bien plutôt une cérémonie communautaire accompagnée de fêtes et célébrations. La circoncision est typiquement une déclaration publique d'allégeance et donc pas seulement un évènement social, mais aussi une affirmation politique. Sans un murmure sur les véritables intentions hiérarchiques de cette cérémonie, le résultat fut toujours, et continue d'être, un rappel et une institutionnalisation d'une structure de pouvoir fondée sur le genre.

La date de la circoncision masculine dessert les relations socio-politiques par des moyens moins évidents. Bien que l'âge de la circoncision varie largement dans les sociétés circonciseuses, ce qui est le plus universellement constant est l'exigence que la circoncision ait lieu avant le mariage. Cette règle n'établit pas seulement le statut du père dans la communauté dominée par les mâles, elle contribue aussi à réaliser un autre objectif saillant : les filles à marier sont formées à considérer tout homme non circoncis comme indésirable, assurant par là la stabilité ethnique de la tribu. Les filles savent depuis l'âge tendre qu'elles risqueraient l'ostracisme social en s'accouplant avec un mâle incirconcis. En enculturant tous les membres du groupe à la nécessité, la normalité et la supériorité morale de la circoncision, circoncire les enfants ne réaffirme pas seulement la structure politique et sociale de la tribu, mais approfondit aussi la formation identitaire du groupe. De cette façon, la circoncision fonctionne comme une incitation puissante et primaire à la cohésion du groupe.

A un niveau plus discret, la circoncision fait plus que restructurer une identité fondée sur des alliances contemporaines et historiques de genre et de pouvoir. A un niveau méta-historique et biologique, la circoncision agit pour renommer, recadrer et invertir notre relation primaire et fondamentale au féminin. Le fait que ce rituel d'appartenance tribale nécessite – dans une cérémonie publique – l'ablation, l'épanchement de sang et l'altération de l'organe sexuel de l'enfant mâle n'est pas une coïncidence. Comme souligné par Glick, "Le sang féminin contamine, le sang masculin purifie." Il explique ainsi : "l'épanchement du sang mâle est un acte de consécration." Comme le remarque Nancy Jay dans son brillant ouvrage : Throughout your generations forever, en créant des liens historiques et sociaux par un rituel sacrificiel, la circoncision fonctionne pour dépasser et transcender notre système de relations maternelles et biologiques le plus primaire, en faisant apparaître "naturelle et inévitable" la hiérarchie patrilinéaire et patriarcale. Dans la préface du même livre, Karen E. Fields commente comme suit :

"Dans aucune autre institution religieuse majeure la dichotomie de genre n'est plus constamment importante, parmi les prétendues traditions, qu'elle ne l'est dans le sacrifice. Ceci est vrai non seulement des religions antiques et soi-disant primitives. Même chez les chrétiens contemporains, plus vivement l'eucharistie est comprise comme un véritable sacrifice, plus grande est l'opposition à ordonner les femmes… En conséquence, une étude des sacrifices centrée sur le genre conduit à une compréhension nouvelle : le sacrifice comme remède d'être né de femme."

Semblablement, aussi bien dans les écritures hébraïques (Samuel 1 : 1) que dans le Nouveau testament (Matthieu 1 : 1-16 et Luc 3 : 23-38), la légitimité s'établit par la citation et la répétition de la lignée des géniteurs mâles. Non pertinents dans une culture à domination mâle, les noms des mères ne sont habituellement pas mentionnés.

La circoncision subvertit la relation de la communauté au principe donneur de vie du féminin, non seulement en oblitérant la légitime identité de la femme dans la structuration du maillage historico-social de sa tribu, mais aussi en la banalisant et en lui interdisant implicitement de reconnaître, beaucoup moins que d'agir, ses plus profonds instincts mammaires de protection de son enfant nouveau-né. Elle sait, longtemps même avant d'avoir conçu, que pour que son enfant mâle soit relié à la communauté masculine – passée, présente et future – et à un Dieu à image masculine, elle doit le remettre aux hommes armés d'un couteau pour couper, blesser et provoquer une grande douleur au très vulnérable organe sexuel de ce nouveau-né. Habituellement, les sentiments d'une mère sont écartés ou ridiculisés. Sa voix est tue, même à elle-même.

Peut-il s'agir d'une coïncidence si nous avons des termes pour désigner la perte de puissance primaire pour les hommes mais pas pour les femmes ? Lorsque les hommes sont blessés dans leur puissance primaire de masculinité, on dit qu'ils ont été "émasculés." Lorsque les femmes sont blessées dans leur puissance primaire de féminité, nous nous en apercevons rarement. Nous n'avons pas de termes, pas de structure conceptuelle, pas de mot pour protester et moins encore pour tenter de guérir l'expérience de la perte de la puissance femelle fondamentale.

La blessure de la circoncision altère irréversiblement à la fois la mère et l'enfant : la mère est brisée au fondement de sa sagesse matricielle la plus profonde, qui sait qu'elle doit protéger son enfant quoi qu'il arrive ; et le bébé, choqué et traumatisé, est brisé dans sa capacité de faire entièrement confiance aux bras protecteurs de la mère vers lesquels il s'est biologiquement et naturellement tourné comme vers sa source primordiale de sécurité. Depuis le début, la masculinité est maintenant définie comme le fait d'être coupé de la mère et de tout ce qui est femelle, nourrissant et essentiel à la survie humaine. Les femmes sont ainsi rendues complices de ce modèle de maternité défini de façon masculine. Nancy Jay affirme : "Le genre est donc inégalé comme pierre angulaire de la domination." La circoncision est l'arme qui ne détruit pas seulement le prépuce d'un garçon mais excise aussi adroitement l'autorité maternelle sur le bien-être ultime de son enfant. Car s'il est interdit à une femme de se sentir autorisée dans son besoin instinctif de protéger son enfant nouveau-né, auxquels de ses propres sentiments pourra-t-elle jamais croire ?

Dans toutes les sociétés circonciseuses, le sacrifice subi par l'enfant est considéré comme accessoire aux forces sociales, politiques et/ou religieuses qui l'exigent. En particulier, le caractère extrême de la douleur du bébé est dénié, ignoré, ou bien fait l'objet d'innombrables plaisanteries. Parce que nous autres Juifs circoncisons à l'âge de huit jours, où un enfant est facilement dominé et où il ne se souviendra pas de l'évènement, nous considérons ceux qui circoncisent plus tard comme des barbares.

Parmi nous autres Juifs, nombreux sont capables d'assister à un bris, c'est-à-dire une circoncision rituelle, en regardant dans les yeux le bébé choqué, terrifié et hurlant, la tête agitée et le menton tremblant, pendant que son prépuce est détaché de la délicate surface du gland, coupé et écrasé, et beaucoup d'entre nous concluent que cela n'est pas différent de la protestation habituelle d'un bébé lorsqu'on le change.

Nous ignorons ou choisissons d'ignorer non seulement ce que nos cœurs et nos entrailles nous disent mais aussi l'abondance des données scientifiques, de nombreuses fois répétées dans les dernières décennies, laissant peu de doute sur la réalité de l'expérience du bébé. Les rythmes cardiaque et respiratoire, comme les taux de cortisol des bébés qu'on circoncit attestent sans ambigüité de la conclusion que la circoncision est atrocement douloureuse pour n'importe quel bébé. Et, comme c'est le cas dans les autres traumatismes graves du développement néo-natal, les implications de séquelles durables dans le système nerveux central sont graves (pour information sur ce sujet, consultez Male and female circumcision: medical, legal and ethical considerations in pediatric practice). La science n'a pas encore attaché son attention à identifier quelles peuvent être ces séquelles. Cependant, un minimum de connaissances psychologiques suffisent à suggérer que les thèmes de la confiance, de la peur, de l'intimité, de la sexualité et du genre seraient de judicieux domaines de recherche universitaire. Alors que traumatiser un enfant n'est ni l'intention affirmée ni l'intention consciente de la circoncision, c'est un corollaire inévitable de l'ablation des organes sexuels d'un enfant avec des altérations potentielles du système nerveux peut-être non précisées mais difficilement insignifiantes.

Bien que le fait soit vigoureusement dénié par les partisans de la circoncision, l'ablation forcée du prépuce a aussi des effets profonds et durables sur l'expérience sexuelle d'un mâle. Même dans l'antiquité, lorsque la circoncision était moins radicale qu'elle ne l'est aujourd'hui, la qualité unique du prépuce était reconnue. Dans le judaïsme biblique, la circoncision consistait à couper la partie du prépuce dépassant le gland, laissant la plus grande partie intacte. L'arrachement et l'ablation totale du prépuce entier, connue sous le nom de periah, ne fut inventée par décret rabbinique qu'aux temps hellénistiques, en réponse à la pratique de certains juifs qui essayaient d'éviter d'être ridiculisés par leurs camarades athlètes grecs en tentant d'étirer leurs prépuces pour ne pas avoir l'air circoncis.

Le juif hellénistique Philon, au premier siècle après JC, et Moses Maïmonide, aussi connu dans la tradition juive du XIIème siècle comme le Grand Rambam, écrivirent tous deux sur les conséquences de la suppression violente de la partie la plus sensuelle de l'organe sexuel de l'homme avant qu'il soit en âge de comprendre ou de consentir à cette perte. Philon écrivit dans "Les lois spéciales" que "l'excision du plaisir [provoquée par la circoncision]… est tout à fait nécessaire à notre bien-être." Plusieurs siècles plus tard, C.J. Cold and J.R. Taylor confirmèrent dans le British Journal of Urology que les effets de la circoncision sur la sexualité étaient, en effet, significatifs, lorsqu'ils découvrirent qu'il y a plus de 20 000 cellules réceptives spécialisées de toucher fin dans le prépuce humain, qui fonctionnent pour permettre des sensations et un contrôle beaucoup plus nuancés qu'aucun autre tissu pénien.

De surcroît, l'ablation du prépuce crée une perte secondaire de sensibilité : non seulement le tissu érogène le plus sensible de l'organe sexuel mâle a été ôté mais, avec l'âge, le gland perd sa couverture muqueuse, se dessèche et se kératinise. En particulier, à l'âge mûr, le gland du pénis circoncis a perdu beaucoup de son potentiel réceptif et l'homme a besoin de stimulation plus abrasive pour parvenir à l'orgasme. Souvent, cela se produit juste au moment où la femme devient péri-ménopausée et connait une diminution de lubrification vaginale. Le problème est habituellement identifié comme l'entrée de la femme dans la ménopause ; la contribution du partenaire circoncis est rarement reconnue. De façon subtile mais profonde, la circoncision fonctionne pour diminuer le potentiel de plaisir de l'homme, subordonnant son lien à sa partenaire à son lien à ses pairs masculins tribaux. Philon et Maïmonide savaient tous deux sans le moindre doute que, comme dans tous les autres aspects de la biologie, altérer la forme altère la fonction. Voici ce que Maïmonide, le grand philosophe, physicien et talmudiste, avait à dire dans son fameux livre : Le guide des égarés, écrit en 1160 :

"Le fait que la circoncision diminue la faculté d'excitation sexuelle et quelquefois même "diminue le plaisir est incontestable. Car si l'on a fait saigner ce membre à la naissance "et qu'on lui en a enlevé la couverture, il doit incontestablement être affaibli. Les sages, "bénie soit leur mémoire, ont explicitement affirmé : "Il est difficile à une femme avec qui "un incirconcis a eu des relations sexuelles de se séparer de lui. (Genesis Rabbah "LXXX). C'est à mon avis la plus forte des raisons en faveur de la circoncision."

Voilà bien les peurs patriarcales jumelles : la peur de la femme et la peur du plaisir. La circoncision est à la fois le véhicule et le produit, la menace et l'antidote qui calme et perpétue simultanément ces antiques terreurs. C'est là le résultat et la fonction véritable de la circoncision. La circoncision réalise cela en violant brutalement le lien mère-nourrisson peu après la naissance, par l'amputation et le marquage de l'organe sexuel du bébé avant qu'il sache ce qu'il a perdu, en niant toute reconnaissance, en "matant" la mère au faîte de son besoin instinctif de protéger son enfant ; en attachant le bébé à la communauté des hommes passés, présents et futurs et à une image mâle de D…, en restructurant la famille et la société en termes de domination masculine, et en blessant psycho-sexuellement la virilité encore endormie dans le bébé confiant. De toutes ces façons – socialement, politiquement, religieusement, ethniquement, sexuellement, tribalement et interpersonnellement – l'ablation des organes sexuels de nos garçons est le pivot autour duquel le patriarcat exerce son pouvoir. La circoncision est un rite de domination masculine – domination et légitimation de la domination sur les autres hommes, les femmes, et les enfants, à la fois institutionnellement et personnellement. C'est l'essence du patriarcat.

Cependant, ce serait une simplification grossière que de caractériser le judaïsme comme une religion purement patriarcale, et il ne serait pas non plus exact de voir dans le judaïsme la source du patriarcat dans les religions occidentales. L'emphase catégorique et minutieuse sur la vie en ce bas monde, sur la sainteté de toute vie comme valeur organisatrice primaire à travers les textes bibliques et talmudiques est en complète contradiction avec la pratique de la circoncision. Enlever un tissu sexuel fonctionnel est nuisible : c'est nuisible à l'enfant, au potentiel de plaisir et à l'attachement sexuel de l'homme mûr, et à la mère qui est entraînée à renoncer à son lien sacré avec son nourrisson pour que sa masculinité soit redéfinie selon les termes de sa communauté.

Les rabbins expliquent que, parce que les femmes sont plus proches du divin à cause de notre capacité de donner la naissance et à assurer la vie, les hommes ont besoin d'autres moyens pour accéder à la spiritualité – la circoncision étant le principal. Cependant, l'idée que le traumatisme peut être un chemin de bona fide, beaucoup moins qu'un chemin éthique, vers une plus grande conscience spirituelle soulèverait de véhémentes protestations des néonatologistes et épigénétistes contemporains. Ce qui est contraire à l'éthique ne peut être spirituel. La dichotomie et la hiérarchie supposées et enseignées, depuis des millénaires dans de multiples religions, entre vitalité sexuelle et spiritualité est fausse et a conduit à des siècles de souffrance humaine. Le sexisme spirituel est encore du sexisme et doit être rejeté.

Je me souviens du jour où j'ai appris l'existence du phénomène des mutilations sexuelles féminines. J'étais consternée. Comment pouvaient-ils ? Comment quiconque pouvait-il ? Il m'a fallu des années avant de pouvoir entendre leurs voix : "C'est ça que nous sommes, ça que avons été pendant des milliers d'années." "Personne ne nous épousera si nous ne sommes pas coupées." "Les parties sexuelles intactes sont laides." Elles sont antihygiéniques." Puis, j'ai réalisé… nous disons la même chose.

Oui, il y a des différences significatives entre les coupures mâles et femelles, mais il n'est pas honnête de revendiquer que l'une est physiquement et sexuellement insignifiante et l'autre barbare ; que l'une est éclairée, l'autre primitive. Immobiliser un enfant et lui couper les parties sexuelles de force est un abus sexuel. Nous n'hésiterions pas à utiliser cette qualification pour un individu ou une culture qui encouragerait la caresse sexuelle des enfants. Pourquoi pensons-nous que le découpage des parties sexuelles est acceptable ? La circoncision n'est pas sainte, elle ne transmet pas l'héritage spirituel juif, elle ne garantit pas non plus la continuité juive.

Pour des raisons religieuses aussi bien que tribales et laïques, de nombreux juifs croient que "la circoncision assure notre survie." Sans la circoncision, nous disons-nous, le peuple juif disparaitra, prédiction très effrayante pour un peuple pour qui l'annihilation est une perpétuelle possibilité. Encore une fois, le sexisme transparent dans une telle affirmation n'est que trop apparent. Les mâles sont-ils les seuls juifs qui comptent ? La contribution des femmes juives est-elle inconsistante, invisible et insignifiante ? Plus fondamentalement, pourquoi les femmes juives peuvent-elles perpétuer notre héritage spirituel et demeurer entières alors que les hommes juifs ne le peuvent pas ? Comment, en effet, la circoncision a-t-elle prolongé notre survie aux époques désespérées des purges des Juifs lorsque l'ennemi n'avait qu'à baisser les pantalons pour éliminer les mâles juifs ?

Aux Etats-Unis, où la plupart des hommes de plus de trente ans ont été circoncis, ou au Moyen-Orient où la circoncision est la norme pour les Musulmans, les hommes juifs nus sont-ils distinguables de leurs homologues non-juifs ? Et si la circoncision est la protection quintessentielle de l'identité juive, pourquoi avons-nous aux Etats-Unis des dizaines de milliers de juifs qui ont eu les parties sexuelles altérées radicalement et en permanence mais sont ignorants du judaïsme et complètement non-affiliés aux communautés juives ? La question de savoir comment nous devons assurer et soutenir la survie juive est extrêmement grave, mais la réponse n'est pas la circoncision.

Un rabbin orthodoxe interviewé par Eliyahu Unger-Sargon dans son superbe film : Cut: slicing through the myths of circumcision déclarait sans équivoque que la circoncision était équivalente à un abus sexuel. Cependant, cet homme réfléchi poursuivi pour justifier la pratique de la circoncision pour raisons religieuses, en disant que c'est là que "ça bloque" si vous êtes juif. C'est un commandement. Nous n'avons pas le choix.

En effet, nous avons le choix. Ce qui est sacré, c'est notre obligation de protéger l'intégrité et l'intimité de la totalité des parties sexuelles de nos enfants. Ils ne sont pas le territoire de la famille, de la communauté, ou de n'importe qui d'autre. Spiritualiser la blessure de la circoncision ne change pas le dommage, ni ne le rend éthique. Comme nous l'apprend le Deutéronome (30 : 6), ce qui est véritablement exigé de nous pour accéder au divin a à voir avec l'architecture du cœur, pas avec l'altération des parties sexuelles mâles. Créer un foyer juif joyeux et aimant et procurer à nos enfants une éducation juive significative et en profondeur, sont les seuls moyens authentiques que nous ayons pour assurer la survie. Couper les pénis de nos bébés ne le fera pas.

Le brit milah n'a été ordonné pour raison hygiénique ni dans les textes bibliques ni dans le Talmud. Cependant, aux Etats-Unis, la circoncision néo-natale de routine a été la norme, en dépit de la règle fondamentale de toute la pratique médicale U.S. qui exige que la chirurgie ne soit pratiquée qu'en dernier ressort et non en stratégie préventive, en particulier lorsqu'il s'agit de tissu sain sur des mineurs non-consentants. Pour ces raisons et d'autres, les sociétés médicales de Hollande, de Finlande, d'Australie, du Canada et du Royaume-Uni ont explicitement déclaré que la circoncision néo-natale de routine est médicalement déconseillée et contraire à l'intérêt de l'enfant. Promouvoir la circoncision pour de présumés bénéfices sanitaires n'est ni une position juive authentique ni une position médicalement valide.

La circoncision peut être un rite antique mais il est mauvais. A travers les âges, le judaïsme a fait preuve d'une capacité remarquable à muter dans la pratique et à conserver l'intégrité de son héritage spirituel. Le judaïsme n'a pas été vaincu lorsque le premier temple fut détruit, ni lorsque le deuxième fut rasé. L'abandon des sacrifices animaux comme mode premier de culte n'a pas entraîné une désagrégation de la spiritualité ou de la continuité juive. Légalement, l'identité juive est définie à la fois par la halachah (la loi juive) et par la cour suprême israélienne d'après le statut de la mère de l'enfant : si la mère est juive, l'enfant est juif. La circoncision ne l'emporte pas sur le lignage maternel.

Sans compromettre soit l'identité de nos enfants soit la survie de notre peuple, nous pouvons inviter tous nos enfants juifs, nos bébés filles et nos bébés garçons, à un brit b’lee milah, une alliance sans circoncision, et leur enseigner la sagesse, l'amour et la beauté de la tradition juive. A la différence du christianisme qui enseigne qu'un enfant est né dans le péché originel et doit être racheté, le judaïsme enseigne que l'âme est pure – seul le pénis à besoin de "rédemption". La vérité est que le bébé tout entier est pur, corps et âme, y compris ses tendres parties sexuelles, et le protéger est à la fois une mitzvah et notre devoir le plus sacré.


Traduit de l'anglais par Sigismond (Michel Hervé Navoiseau-Bertaux)


Ces vingt dernières années, Miriam Pollack, membre d'une synagogue conservatrice, a plaidé, localement et internationalement, en faveur de l'intactivisme. Elle est fondatrice/directrice du Centre pour l'alphabétisation et le language de Boulder, Colorado.

Citation : Pollack, Miriam. Circumcision: Identity, Gender, and Power. Tikkun 2011, 26 (3).

Li.La.C.
Literacy and Language Center
303-247-0790
www.literacylanguage.com


[1] http://www.huffingtonpost.com/miriam-pollack/circumcision-identity-gen_b_1132896.html

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